Eugen Sandow vécut dans l’Angleterre victorienne, à une période où les gens qui produisaient leurs corps en public le faisaient pour étaler leurs capacités physiques. C’étaient les fameux « hommes forts », incontournables des foires de l’époque. Mais à l’occasion d’un voyage en Italie dans son enfance, il était tombé en admiration devant les statues de l’Antiquité et leur plastique musculeuse et proportionnée. Il choisit alors de s’entraîner non pour être simplement fort, mais pour se sculpter un corps qui réponde aux canons de cette beauté antique. C’est ainsi qu’il devint le fondateur du culturisme moderne.
De son vrai nom Friedrich Wilhelm Mueller, Eugen Sandow est né à Königsberg, le 2 avril 1867, et mort à Londres, le 14 octobre 1925. Après avoir quitté la Prusse, il commença à se produire dans des exhibitions de force en Europe. En 1889, sa victoire dès sa première participation au concours d’hommes forts de Londres lui permit d’acquérir une immense popularité. Les contrats affluèrent de toute la Grande-Bretagne. Il fut ainsi repéré par Florenz Ziegfeld, impresario et producteur américain, créateur des célèbres spectacles musicaux les Ziegfeld Follies, qui lui proposa de participer à l’Exposition Universelle de Chicago de 1893.
Le tout premier culturiste
Sandow se démarquait des autres célébrités de spectacles de force de l’époque par le soin qu’il apportait à son apparence. D’ailleurs, ses performances relevaient plus de la « démonstration de muscles » que de la démonstration de force. Il est considéré, par sa vie et la méthode d’entraînement qu’il a tirée de son expérience, comme l’inventeur du bodybuildisme, conçu comme une démarche de « sculpture du corps ». Et en effet, son obsession était de reproduire à l’identique les proportions idéales des statues antiques, dont il était allé jusqu’à prendre les mesure dans les musées ! Le premier concours de culturisme, The Great Competition, qu’il organisa au Royal Albert Hall de Londres en 1901, fut un énorme succès. Parmi les juges on notera, outre Sandow lui-même, son ami l’écrivain Sir Arthur Conan Doyle, qui pratiquait à l’époque le cricket à un haut niveau.
Mais bien au-delà d’une démarche purement esthétique, Sandow estimait que son « système de Culture Physique » était tout autant destiné à cultiver l’esprit, qu’à obtenir la force et la santé du corps. Un corps sain se construit et s’entretient jour après jour, et le soin apporté à ce véhicule qu’est notre corps est en lui-même une satisfaction, source de bien-être. Il dénonçait déjà – à l’aube du XXe siècle ! – la dégénérescence physique qu’entraîne le mode de vie moderne, toute fonction demandant à être utilisée pour subsister et se développer. Dans la lignée du courant hygiéniste alors en vogue, il vantait les bienfaits de la culture physique sur la santé et la jugeait indissociable de l’approche médicale.
Un homme d’affaires avisé
Fort de sa renommée mondiale, Sandow a multiplié les entreprises commerciales dès 1894 : publication de plusieurs ouvrages, édition du magazine Sandow, premier dédié à la culture physique (1898), conception et vente de matériel d’exercice par correspondance (Sandow Appliance Company), production et promotion d’un fortifiant pour l’entraînement (Sandow’s Health & Strength Cocoa, 1913)… Il ouvrit surtout à Londres les premiers clubs de sport modernes (Institutes of Physical Culture) à partir de 1898, contribuant ainsi à populariser l’exercice physique auprès de toutes les classes sociales.
Pour l’anecdote, il inventa notamment des sangles de caoutchoucs pour l’exercice, qui par la suite ont été détournées vers d’autres usages, et que tout le monde connaît encore de nos jours sous le nom de son inventeur, les « sandows ». Durant son séjour aux États-Unis, Sandow fit également la connaissance de Thomas Edison, qui produisit une série de courts métrages tournés lors de ses exhibitions. Ceux-ci eurent une influence positive sur la diffusion de ce nouveau média, dont ils démontraient l’intérêt.
Les livres de chevet du bodybuilder
Eugène Sandow a par ailleurs laissé à la postérité plusieurs ouvrages consacrés à son entraînement et son mode de vie. Malheureusement pour les non anglophones, ces livres ont été réédités mais jamais traduits en français. On trouve d’ailleurs bien peu de sources sur ce personnage dans notre langue…
- Sandow’s System on Physical Training (1894) Voir sur Amazon (version Kindle)
- Strength and How To Obtain It (1897) Télécharger en version PDF
- The Gospel of Strength (1902) Voir sur Amazon
- Body-Building or Man in the Making (1904) Voir sur Amazon
- Life Is Movement – The Physical Reconstruction and Regeneration of the People – A Diseaseless world (1920, préface d’A. Conan Doyle) Voir sur Amazon
Sandow et la nutrition
Considération indissociable de l’exercice physique, la nutrition était déjà enseignée dans ses instituts. Sandow critiquait dès son premier ouvrage les croyances de l’époque (dont certaines ont encore la vie dure, comme les bénéfices des œufs crus…). Selon lui le principal danger était de manger trop et trop lourd. Son seul conseil pourrait donc être condensé en un mot : la modération ! Il recommandait seulement d’éviter le thé et le café, à cause des alcaloïdes qu’ils contiennent. Enfin il insistait sur l’importance d’une bonne mastication, qu’il considérait comme une condition sine qua non de la santé.
Un mode de vie sain et bien réglé
Pour son propre entraînement, il affirmait suivre un régime alimentaire équilibré et sain, sans restriction particulière, pas même l’alcool – même s’il avouait se satisfaire de bière ou de vin léger. Il privilégiait donc des repas faciles à digérer, et à heures fixes. Ses autres habitudes se résumaient à de très longues nuits de sommeil (10 à 11 h !) et des bains froids toute l’année, au réveil après un léger entraînement, ainsi qu’avant le coucher, pour récupérer de ses représentations. Son seul « vice“, dirait-on aujourd’hui, était le tabac, dont il était grand consommateur.
Par dessus tout, Sandow insistait sur la nécessité de s’astreindre à un exercice quotidien, sans exception. Mais – de façon pragmatique – considérait ses démonstrations publiques comme un entraînement amplement suffisant ! S’il en ressentait le besoin, il les complétait par des séances d’un genre un peu particulier. En effet, son contrôle musculaire était tel, qu’il lui suffisait de rester assis, à lire le journal, tout en faisant travailler chacun de ses muscles séparément et de façon systématique. Il disait ainsi empêcher la graisse de s’installer et développer sa force… tout en se relaxant et en cultivant son esprit !
Vous en voulez encore ?
Deux biographies (encore en anglais…) :
- David L. Chapman, Sandow the Magnificent: Eugen Sandow and the Beginnings of Bodybuilding (2006) Voir sur Amazon
- David Waller, The Perfect Man: The Muscular Life and Times of Eugen Sandow, Victorian Strongman, 2011 Voir sur Amazon
Jonathan says
Article fascinant qui retrace avec brio le parcours d’Eugen Sandow, pionnier méconnu du bodybuilding. La richesse des détails historiques et l’exploration de sa philosophie sur la culture physique, alliant esthétisme et bien-être, offrent une perspective enrichissante sur les origines du culturisme. Il est également intéressant de noter l’impact d’Eugen Sandow en tant qu’homme d’affaires avisé, ce qui souligne l’aspect multidimensionnel de son héritage. Un rappel inspirant des racines classiques et holistiques du bodybuilding moderne !
Loraine Keller says
Merci beaucoup Jonathan !