La dopage, voilà un vaste sujet ! Régulièrement mis en lumière par des scandales largement médiatisés, le phénomène reste mal compris du grand public. A l’heure où le système en lui-même est de plus en plus mis en cause, il n’est plus possible de parler d’une simple déviance, se limitant à quelques athlètes prêts à tout pour gagner. Surtout, il serait illusoire de penser que sa pratique se limite au monde des professionnels du sport. Rapide histoire et décryptage d’un phénomène bien plus répandu qu’on ne croit.
Pour commencer, qu’appelle-t-on le dopage dans le milieu sportif ? Si l’on s’en tient à la définition proposée dans la plupart des dictionnaires, cela donne à peu près :
Fait d’administrer, d’inciter à l’usage, de faciliter l’utilisation, en vue d’une compétition sportive, de substances ou de procédés de nature à accroître artificiellement les capacités physiques d’une personne ou d’un animal, ou à masquer leur emploi en vue d’un contrôle. (Le Robert)
Le dopage, une pratique vieille comme le monde !
Personnellement, je pense que l’homme a eu recours à de telles pratiques dès l’origine des compétitions sportives. Sur ce sujet, les recherches historiques et archéologiques me donnent raison. Je suis même sûr que l’homme a eu recours à ce genre de procédés bien avant cela, sans doute pour se donner courage et endurance, à la chasse comme à la guerre.
D’ailleurs, chamanisme et médecines anciennes avaient une excellente connaissance des plantes et de leurs effets sur l’homme. Il y avait certes des choses qui fonctionnaient, et tant d’autres qui faisaient office de placebos : les pénis et testicules de certains animaux réputés pour leur férocité, par exemple, étaient ainsi consommés pour conférer virilité à l’homme. Ces pratiques se retrouvent encore dans pas mal de pays, soi-disant développés ou non, et dans tous les cas cela ne fait pas l’affaire des animaux, qui sont toujours les grands perdants de telles croyances !
La lutte contre le dopage, elle non plus, ne date pas d’hier. En effet, dès les jeux antiques, des personnes étaient chargées de humer l’haleine des compétiteurs afin de détecter les odeurs d’alcool. Et vue la violence de certaines disciplines, comme le pancrace, on peut comprendre les compétiteurs d’avoir eu besoin de s’en jeter un petit avant !
Débuts du sport moderne et premiers scandales
Les premiers cas certifiés de dopage moderne, quant à eux, datent du 19e siècle. A l’époque, l’ancêtre et sans doute inspirateur du Coca-Cola, le vin Mariani, était largement consommé. Quand on sait que chaque bouteille contenait 6 à 7 mg de cocaïne, on comprend que l’on y devenait rapidement accro ! Le succès fut tel, que même le pape en signa l’approbation officielle, et une publicité affirmait qu’il en avait toujours une bouteille sur lui « en cas de nécessité ». On raconte même qu’Émile Zola n’aurait peut-être pas été si prolifique sans ce remontant ! C’est dans ce contexte qu’une équipe de natation néerlandaise, qui s’était mise soudainement à dominer systématiquement ses concurrents en 1865, a été prise en grande consommation de cette boisson « très énergétique ». Cela fait d’eux le premier cas de dopage avéré dans le sport de compétition.
Le problème du dopage a donc noyauté le monde du sport bien avant que le grand public ne s’en émeuve, et notamment le cyclisme. Mon grand-père, André Poirier, qui était journaliste sportif et a suivi de très nombreux tours de France, nous en parlait beaucoup. Mais à l’époque, les moyens de détection étaient extrêmement limités… C’est le plus souvent la rumeur et les accusations internes au milieu qui permettaient de débusquer les tricheurs. Ainsi, dans les années 1920 déjà, les frères Pélissier, avant de tirer leur révérence, firent des révélations fracassantes sur les conditions très dures de ce sport et sur le cocktail médicamenteux que tout les coureurs doivent ingurgiter pour pouvoir tenir.
Course aux records et généralisation du dopage
Le 20e siècle a été le témoin de deux décollages majeurs des performances sportives. De nombreux records ont d’abord été battus dans les années ’60, qui voient en particulier le 100 m passer sous la barre symbolique des 10 secondes. Puis, dans les années ’80, beaucoup de records tombent à nouveau, et ce pour longtemps pour bon nombre d’entre eux. Les optimistes diront que se sont les méthodes d’entraînement qui ont changé… Les moins optimistes, quant à eux, y virent une corrélation avec l’apparition de nouvelles drogues : hormones de croissance et corticoïdes pour la première vague, la fameuse EPO par la suite. Sans écarter le bénéfice du doute, il est à noter cependant un réel changement concomitant dans la morphologie des sportifs, qui sont passés dans le même temps d’hommes et femmes relativement normaux, à des gabarits surhumains, et ce en à peine 20 ans ! Pas sûr qu’un simple changement dans les méthodes d’entraînement suffise à générer des transformations aussi radicales…
Mon souvenir le plus marquant sur le sujet reste celui de Ben Johnson, qui a survolé la course aux JO de Séoul en 1988, battant au passage le record de Carl Lewis (lui-même pas au-dessus de tous soupçons…). Il y a eu bien sûr d’autres cas de dopage auparavant, mais il est certain que ce premier gros scandale lié aux Jeux Olympiques a permis une prise de conscience plus profonde. La sanction de 2 ans de suspension dont Johnson a écopé (qui sera étendue à vie suite à sa récidive en 1993) et l’information relayée largement dans la presse du monde entier ont contribué en outre à la mise en place de contrôles généralisés. Les soupçons portant sur le sport de haut niveau n’ont fait que croître depuis.
Un problème systémique, où l’on punit les victimes
Aujourd’hui, il est clair que le dopage est devenu omniprésent dans le sport de haut niveau. Personnellement, ce qui me gène le plus, c’est que ceux qui sont montrés du doigt et ostracisés sont souvent uniquement les sportifs, alors même que se sont eux les seuls à plaindre ! Drogués ou non, il vouent leur vie et leur corps à l’entraînement et à la compétition, par passion bien plus que pour l’argent ou la gloire. Mais gardons à l’esprit que si certaines pratiques – comme celle dite « de la pompe à vélo » en natation, qui consistait (il y a bien longtemps) à se mettre de l’hélium dans les intestins (et pas par la bouche !) – font sourire, la plupart des drogues ou des procédés sont extrêmement dangereux pour la santé du sportif. Les cocktails médicamenteux et autres transfusions allègent considérablement leur espérance de vie, quand ce n’est pas l’intégrité de jeunes enfants qui est mise à mal. Je pense ici notamment à la gymnastique et aux nombreux témoignages d’athlètes russes, qui accusèrent certains entraineurs de mettre les jeunes filles enceintes afin de profiter des effet hormonaux liés à la grossesse le temps de la compétition, pour ensuite les faire avorter. On imagine le traumatisme !
Entre un système régi par l’argent et la corruption, et un public avide de sensationnel, il ne faut pas être surpris que de telles pratiques soient devenues la norme. J’ai toujours en tête la réponse d’Anquetill lorsqu’il a été interrogé par le ministre des sports concernant ses aveux de dopage sur la course Bordeaux-Paris :
Vous pensiez sincèrement qu’il est possible de courir Bordeaux-Paris sur la lancée du Dauphiné avec de simples morceaux de sucre ?
Et c’était en 1965 !
Vers une prise de conscience de l’ampleur du phénomène
Certaines disciplines semblent a priori plus touchées que d’autres (ou sont-elles juste plus visées par les médias et l’opinion ?). Ainsi, au milieu des années ’90, lorsque 64 haltérophiles sont contrôlés positifs avant des championnats du monde, le CIO envisage de suspendre la discipline aux JO. La fédération d’haltérophilie décida alors de faire table rase et de repartir sur de nouvelles bases, en annulant tous les records du monde et en modifiant les catégories de poids. Mais la réputation de la discipline en est restée écornée.
L’équipe Festina lors du tour de France de 1998, les aveux de Lance Armstrong, les contrôles positifs de Tyson Gay et d’Asafa Powel en athlétisme en 2013, pour ne citer que les cas les plus célèbres – car faire une liste complète serait bien trop long ! – autant de scandales qui ont émaillé l’histoire du sport ces dernières décennies. Les derniers mois ne sont d’ailleurs pas en reste, si ce n’est que les affaires prennent de l’ampleur, mettant de plus en plus souvent en cause des fédérations entières, voire des états, révélant un dopage institutionnalisé. Les récents témoignages affirment ainsi que dans certains pays, ces pratiques sont encouragées aux plus hautes sphères de l’état. On parle régulièrement de la Russie et de la Chine (le lien entre dopage et communisme est devenu un poncif depuis la Guerre froide) mais il y en a sans doute bien d’autres.
Le sport amateur lui aussi contaminé par le recours au dopage
Ce qui me surprend le plus au sujet du dopage, c’est que sa pratique puisse se retrouver dans le sport amateur. Car, sans le cautionner, je peux encore comprendre ce phénomène au sein du sport de haut niveau : il s’agit d’une carrière où la concurrence fait rage et la pression est telle qu’il faut être non seulement performant, mais également rapide à se remettre sur pied en cas de blessure. Les sportifs professionnels sont pris au piège d’un engrenage dont ils sont les premières victimes, on l’a dit, et qu’ils ont eux-mêmes bien du mal à assumer. Cela peut ainsi, lorsqu’ils sont pris la main dans le sac, nous offrir quelques bonnes crises de bidonnage… De la banale intoxication alimentaire, au plus original dentifrice piégé par les concurrents, en passant par les croustillants bonbons péruviens bourrés de cocaïne innocemment ramenés par la famille, jusqu’à l’absurdité la plus complète du cunnilingus à sa femme enceinte évoqué par Daniel Plazza (un marcheur espagnol)… l’imagination des sportifs pour justifier leurs résultats positifs paraît sans limite !
Faire comme les « grands »… mais à quel prix ?
Dans le monde amateur en revanche, le recours au dopage est juste hallucinant ! J’imagine que c’est une manière de s’imaginer professionnel, au même titre que la personne qui fait du sport une fois par semaine mais ne va voir que des médecins du sport, ou encore ces cyclistes du dimanche qui sont recouverts de publicités sans en tirer le moindre bénéfice pécuniaire ou matériel…
Pour avoir beaucoup fréquenté le milieu sportif, il est incroyable de voir avec quelle facilité ont peut se procurer des drogues en tous genres : il y a toujours une bonne âme pour vous en proposer. Cela m’est arrivé des dizaines de fois, le plus souvent dans des salles de musculation. Dans ces endroits que l’on fréquente le plus souvent pour se bâtir un physique impressionnant, j’en ai connu un paquet qui prenaient des mélanges d’hormones de croissances et de testostérone. Ce qui est assez amusant c’est que la plupart se dopent avant tout pour pouvoir plaire et se pavaner, mais dans la plupart des cas le revers de la médaille doit être dur à avaler ! En effet, sans compter le risque de dégénération cellulaire, certains effets secondaires tels que les troubles de l’érection ou les boutons sur le dos et les épaules, une très forte odeur corporelle ou encore une pilosité décuplée me paraissent plus que contre-productifs ! Et je ne vous parle ici que de la musculation…
La politique de contrôle anti-dopage impuissante
Ce qui est encore plus incroyable se sont les chiffres – très imprécis je vous le concède, mais cette imprécision n’est que le reflet d’un dramatique manque de moyens, et les budgets de l’état ne cessant de diminuer dans ce domaine ne vont certainement pas arranger les choses dans le futur. Des études commandées par les instances françaises montrent que de 5 à 15 % des sportifs amateurs se dopent. Or, cela représente quand même de 900.000 à 2.700.000 personnes, ce qui même dans l’estimation la plus basse fait froid dans le dos ! De plus, ces statistiques remontent déjà à 2012, et comme il est de plus en plus facile de se procurer ce genre de substances via Internet, cela ne pourra aller que de mal en pis… Une rapide recherche vous permettra de constater par vous-même que vous pouvez facilement vous procurer 1000 doses d’anabolisant en provenance d’Asie du Sud Est pour moins de 300 € !
Les contrôles anti-dopage, toujours plus poussés et efficaces, sont formidables est très certainement nécessaires… Mais en considérant le problème sous cet angle, on comprend bien que ce n’est pas une solution viable, en tout cas certainement sous-dimensionnée face à l’ampleur du problème. Environ 12 000 contrôles ont été effectués l’année passée, dont les deux tiers visant les amateurs, ce qui au regard du nombre de sportifs est totalement dérisoire selon moi. C’est la solution de facilité ! Tout le monde dit vouloir rendre le sport plus « propre », mais cela va être difficile si l’on ne fait pas le ménage aussi chez les amateurs, qui pour certains sont de futurs professionnels.
Le salut passera par la prévention et l’information (comme toujours!)
L’effort devrait plutôt se porter sur la prévention, notamment via la mise en place de formations obligatoires auprès des acteurs quotidiens du sport. Car ils sont aussi à la source du problème, certains coach n’hésitant pas à « booster » leurs poulains, alors même qu’ils sont très jeunes. Les psychologues ont même un nom pour ça : « la réussite par procuration ». J’avais déjà été alerté à l’époque où j’ai passé le tronc commun du BEES. C’était incroyable : d’un côté, l’enseignant chargé des cours sur le dopage nous mettait en garde sur les dangers de telles pratiques, et à peine sortis de la salle, le sujet de conversation principal pour beaucoup de mes camarades tournait autour de ce qu’ils avaient pris, ou prenaient toujours comme produits dopant… Comme si c’était tout à fait normal !
Enfin, pour faire bonne mesure, il faut également dénoncer une certaine banalisation du phénomène par les médias. Ceux-ci ont en effet une grande part de responsabilité sur la question, quand ils se contentent d’accuser l’aspect tricherie du recours au dopage, sans véritablement informer des ravages occasionnés sur la santé. J’ai évoqué plus haut certains des nombreux troubles physiques et physiologiques qui peuvent apparaître, mais il ne faut surtout pas oublier les troubles, pour ne pas dire les ravages, psychiques et psychologiques, qui sont eux trop peu souvent évoqués. Les médias se rendent aussi complice en mettant l’accent sur les extraordinaires performances liées à ces produits, ce qui peut en inciter certains à les essayer, « pour voir » le résultat sur leurs propres performances.
Le handisport à égalité face au dopage
Le handisport n’est, comme vous vous en doutiez, pas en reste et nous offre des anecdotes véritablement incroyables, comme cette russe prétendument non voyante qui saute de joie en découvrant son score sur le tableau d’affichage, les cyclistes de vélo à main qui retrouvent « miraculeusement » l’usage de leurs jambes, ou encore une équipe d’handicapés mentaux qui ne le sont pas… Ces déviances sont d’autant plus choquantes que pour beaucoup de sportifs handicapés, leur engagement dans une discipline sportive de haut niveau est une façon de se reconstruire et d’exister aux yeux des autres et de leurs proches, ce qui classe d’emblée ce genre de tricheurs dans la case des gens à ne surtout pas fréquenter.
Cependant les sportifs réellement handicapés ont leurs propres techniques de dopage, qui ne sont pas moins répréhensibles. Il existe par exemple une technique appelée le « boosting », qui consiste a s’infliger des contraintes spécifiques, comme de s’empêcher d’aller aux toilettes pour uriner (par des procédés que je ne décrirai pas ici) ou de se blesser délibérément (décharges électriques, écrasement des testicules, etc.) afin de stimuler le système nerveux. Car bien que les paraplégiques ne ressentent pas la douleur, ces supplices déclenchent des réactions physiologiques, telles que comme l’augmentation du rythme cardiaque, des décharge d’hormones et d’adrénaline… qui leurs confèrent un gain de performance estimé d’environ 15 % (chiffre invérifiable, bien que des chercheurs buchent sur le sujet). Une étude anglaise à conclu qu’un tiers des sportifs paraplégiques s’adonneraient à ce type de pratiques.
Difficile de conclure tant il reste à dire ! On pourrait parler du dopage sur les animaux, en équitation bien sûr, mais aussi sur les bêtes de concours dans les foires (bœufs testostéronés) ou bien les poulets et les veaux « boostés aux hormones » pour qu’ils grossissent plus vite et en tirer un meilleur profit… Il y a aussi le dopage dans le milieu des sports nautiques, avec les courses en solitaire lors desquelles on se dope pour surtout dormir le moins possible !
Une chose est sûre : le dopage et les tricheries en général ne touchent pas un sport plus qu’un autre. Je pense même que le problème est bien plus vaste et ne se confine pas au milieu sportif, mais plutôt que ce genre de pratiques est inhérent au genre humain. La politique, la finance sont sans cesse entachées par des scandales de tricherie et de mensonges, mais l’on parle beaucoup moins des problèmes de dopage dans ces milieux, où il s’agit juste de pouvoir tenir la cadence… La seule différence avec le sport, c’est qu’il n’y a pas de contrôle et donc pas de sanction : en gros tout le monde s’en fout ! Mais les ravages sur l’organisme sont tout aussi importants, sans compter les décisions faussées lorsqu’elles sont prises sous l’influence de substances dont la plupart confèrent un sentiment d’invulnérabilité et une confiance en soi exacerbée. Tout cela explique en partie l’intérêt grandissant pour le transhumanisme, dont quel est le but au final, si ce n’est d’obtenir les mêmes effets que les drogues, et bien plus encore, mais de manière définitive ? Un sujet qui sera traité très bientôt sur notre site !
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