Il nous est difficile aujourd’hui d’imaginer une époque où la course à pied était une activité de farfelus, où les femmes étaient interdites – de façon parfois violente – de participer à des courses de plus de 800 m… C’est pourtant l’histoire de cette conquête de notre liberté de courir que nous raconte Pierre Morath, à travers les parcours de ceux qui se sont battus pour faire accepter leur idéal de dépassement de soi, d’harmonie et d’égalité.
La grande force de ce film, outre l’impressionnante collection d’archives audiovisuelles rassemblées pour nous permettre de revivre cette épopée, tient dans la complémentarité des personnages à travers lesquels elle nous est racontée. De Noël Tamini, fondateur de la mythique revue Spiridon, qui prône la course à pied comme moyen de se reconnecter à la nature, à Franck Lebow, promoteur du prestigieux marathon de New York, avec l’objectif de partager sa passion avec le plus grand nombre, en passant par Kathrine Switzer, première femme à participer officiellement au marathon de Boston en 1967, pour qui courir devint l’instrument de la revendication de l’égalité des femmes – autant de portraits attachants qui nous font vibrer au diapason de leurs victoires successives et ressentir la profondeur des combats qui se jouent derrière la diffusion de ce sport en apparence si simple.
En effet, si ce documentaire vous happe si puissamment, c’est parce que courir est bien plus qu’un sport par l’implication personnelle que cet effort représente : on s’identifie non aux qualités physiques, mais à la volonté et à la force morale des marathoniens. C’est d’ailleurs un thème largement exploité par le cinéma, dont la portée émotionnelle est particulièrement puissante (Les Chariots de feu, Marathon man, Forrest Gump, etc.) permettant de véhiculer des messages forts. C’est bien pour cela que l’écœurement nous gagne devant le spectacle des dérives infligées peu à peu à cet idéal de pureté et de dépassement de soi par le mercantilisme de notre époque. Car invariablement, la transition vers un sport de masse s’accompagne des concessions dues au marketing, aux sponsors… Ainsi vinrent la flambée des prix de participation au marathon de NY, l’évolution néfaste que Nike a connu, ou encore l’avènement d’une presse standardisée et répétitive.
Sans vouloir « spoiler » ceux qui n’ont pas encore vu ce film mais en ont l’intention, voici en quelques mots les deux points qui ont le plus retenu notre attention. Tout d’abord, ce sont en tout premier lieu des hommes qui ont permis aux femmes, à travers Kathrine Switzer, de participer à leurs premières courses, leur accordant ainsi une place à leurs côtés. Nous avions plutôt imaginé que les femmes s’étaient organisées et réunies entre elles pour revendiquer ce droit, a l’instar du droit de vote ou du droit à l’avortement, mais cela n’est venu que plus tard. D’autre part, nous n’imaginions pas la lutte qui a opposé les marathoniens à la fédération de course sur route américaine pour la valorisation de leur sport, illustrée par le combat poignant du multiple champion Steve Prefontaine. En effet, le statut amateur imposé pour participer aux JO interdisait aux coureurs de fond américains de toucher le moindre revenu lié à la course à pied, les plaçant ainsi dans une injuste précarité.
Aujourd’hui, en réaction face aux dérives évoquées plus haut, un mouvement de retour à une course à pied dépouillée s’opère, qui nous paraît salutaire. Le retour à une pratique où le coureur se retrouve seul face à lui-même et d’une recherche de communion avec la nature s’illustre bien dans la tendance toujours croissante des trails. Il n’en reste pas moins que le marathon restera toujours une discipline à part, car – outre sa médiatisation incomparable – c’est l’une des rares épreuves où des amateurs et parfaits inconnus peuvent se mêler aux plus grands champions.
Réalisateur : Pierre Morath
Narrateur : Philippe Torreton
Date de sortie : 13 avril 2016 (France)
Durée : 99 min.
Site Internet du film
Pour aller plus loin : Une interview de Pierre Morath à lire dans Society n°29, sorti le 15/04/2016
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